Le projet de loi sur le mariage pour tous, révélé en avant-première par La Vie, mentionne quelque chose de surprenant dans son « exposé des motifs ».
Il dit : « Ce mariage laïc, (…) pour l’essentiel transpose les règles du droit canon ». Cette affirmation est fausse : non, la première loi instituant un mariage civil en France n’est pas une transposition du droit canon. Pourquoi ? Rappelons d’abord quelques faits. Le mariage civil a été mis en place par deux lois votées le même jour, le 20 septembre 1792 : la loi organisant l’Etat civil et la loi sur le divorce. Ces deux lois sont les derniers textes votés par l’Assemblée législative. Depuis le 10 août 1792 le Roi est déposé. La monarchie constitutionnelle est mourante et le lendemain, 21 septembre, la première République de l’Histoire de France a été proclamée. Ces lois sont donc votées dans un contexte révolutionnaire très hostile à l’Eglise : dix jours plus tôt eut lieu le massacre de septembre où de nombreux prêtres réfractaires ont été exécutés. La constitution civile du clergé a été rejetée par Rome et la République qui suivi préféra un très déiste culte de l’Etre suprême à la religion catholique. De plus, la monarchie constitutionnelle en place avait une inspiration très libertaire, loin de la doctrine catholique.
Dans un tel climat anti-catholique, peut-on imaginer que le premier mariage civil soit d’inspiration chrétienne ? C’est difficilement concevable. Mais surtout, c’est le contenu de ces lois et la philosophie qui en constitue les soubassements qui démontrent cette non-transposition.
Les lois du 20 septembre obéissent aux dispositions de la Constitution de 1791, Titre II, article 7, qui définit le mariage comme un contrat : « La loi ne considère le mariage que comme contrat civil. » Le mariage n’est plus une institution mais un contrat organisant la vie commune, contrat passé devant l’autorité civile. Comme tout contrat, il peut être défait selon la volonté des parties à la différence du mariage religieux qui est indissoluble. Ce caractère révocable est dans l’esprit de cette constitution très libérale qui considère des engagements définitifs comme contraire aux droits naturels. En préambule ce texte dispose clairement : « La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution. » Outre la suppression définitive de tous les vœux monastiques et sacerdotaux, l’engagement indissoluble du mariage est lui aussi banni et considéré comme contraire aux droits naturels.
La particularité du mariage civil est donc sa révocabilité et la loi de 1792 allait beaucoup plus loin que le mariage civil actuel. Le divorce était possible pour faute de l’un des conjoints, par consentement mutuel, et par répudiation due à une incompatibilité d’humeur. La procédure était simple, il suffisait de se « démarier » en retournant devant le maire ! Le divorce n’est pas la seule caractéristique de cette loi de 1792. Le premier mariage civil autorisait la consanguinité. Ainsi, un oncle pouvait épouser sa nièce ! Alors que le droit canon interdisait ce type d’union ainsi que pour les cousins jusqu’au quatrième degré.
Ces dispositions révolutionnaires furent en partie supprimées en 1804 avec le Code civil de Napoléon Bonaparte. Celui-ci adopta une formule plus stable bien qu’ayant une inspiration étrangère au droit canon : le droit de la famille, tel que mis en place par le code Napoléon, est pour l’essentiel tiré du droit Romain. Le mariage civil de 1804 sera la base du mariage civil actuel, même si celui-ci a connu moultes modifications depuis : notion d’autorité parentale à la place de la puissance paternelle (loi du 4 juin 1970), divorce par consentement mutuel (loi du 11 juin 1975) etc. Et je ne mentionne pas les tentatives de supprimer le divorce et son rétablissement au gré des changements de régimes au XIXème siècle (il sera définitivement installé en 1884).
Le divorce, qui plus est très libéralisé comme en 1792, est la marque d’un mariage d’inspiration libérale et laïque. Le mariage religieux est tout autre. L’indissolubilité est la caractéristique du mariage chrétien : « on ne sépare pas ce que Dieu a uni (Mt 19-6)» selon les propos du Christ qui définissait l’interdiction de la répudiation. Il s’agit d’un des rares cas où Jésus parle du mariage et il parle justement de son refus du divorce, discours plus ferme que la loi juive qui autorisait la répudiation. Pour l’Eglise, le mariage est une institution naturelle voulue par Dieu. Bien qu’il repose sur le consentement des époux, il ne peut être défait par les Hommes car ce consentement est validé, béni, par Dieu lui-même.
Il est très surprenant que le gouvernement considère le mariage civil comme étant une transposition du droit canon. Une telle affirmation est non-seulement fausse mais absolument contradictoire avec le caractère libéral-libertaire du mariage pour tous. En effet, le mariage pour tous a la même inspiration libérale que la loi de 1792. Bien sûr, l’homosexualité n’était pas encore reconnue au XVIIIeme siècle. Elle était encore taboue et perçue comme anormale. Néanmoins, le soubassement idéologique est rigoureusement le même… Or, au lieu d’inscrire cette réforme dans une suite du mariage révolutionnaire, le gouvernement veut rompre avec l’héritage de 1792 en le percevant comme un mariage crypto-chrétien !
En nous faisant croire que le mariage civil est un résidu du droit canon, le gouvernement élimine toute possibilité de débat. Ainsi, les défenseurs du mariage hétérosexuel seraient de sinistres théocrates, nostalgiques d’une chrétienté où le code de droit canonique faisait office de code civil. Mais voilà, le mariage civil n’est pas catholique, et les opposants au mariage pour tous ne sont pas de sombres inquisiteurs. Le mariage est l’affaire de tous, ses défenseurs se rencontrent partout : nombreux psychiatres, philosophes, juristes, qu’ils soient croyants ou non, défendent la famille hétérosexuelle et monogame.
Un grand débat national doit donc avoir lieu.