Louis Farrakhan en Haïti : que penser d’un tel « ami » ?

Louis Farrakhan, le leader du mouvement « la Nation de l’Islam » vient de terminer un voyage « officiel » de cinq jours en Haïti. Du 10 au 15 décembre, Louis Farrakhan a fait l’objet d’honneurs « hauts de gamme », presque comparables à un chef d’état (seule l’absence du Président Martelly limite la comparaison). 

Une telle visite peut surprendre et susciter des interrogations :la Nation de l’Islam (N.O.I) est une organisation religieuse au passé trouble, complexe, contesté. Louis Farrakhan lui-même a une histoire mouvementée, et certains l’ont accusé de complicité dans l’assassinat de Malcolm X, un des fondateurs de la N.O.I… La vérité reste un mystère mais le doute subsiste. Lire la suite

Haïti : son Président, son Armée et sa souveraineté.

Vous vous en rappelez peut-être, mais le premier article de mon blog portait sur la crise gouvernementale qui sévissait en Haïti. Je connais bien ce pays. Des liens familiaux et plusieurs voyages font qu’Haïti est devenu pour moi une seconde patrie. 

Depuis la fin août, la situation a évolué dans la République des Tentes. Le Président Martelly est parvenu à un exploit politique : il a constitué un gouvernement. Alors que son parti Respons Payizan n’a qu’une petite poignée de parlementaires il est parvenu à convaincre la chambre des députés et le Sénat. 

Ce n’était pas gagné, les deux précédents Premier Ministres désignés ont été refusé par les chambres : Daniel Gérard Rouzier par les deux assemblées, Bernard Gousse par le Sénat. Nous l’avions vu précédemment, la constitution de 1987 est très rigide et nécessite la ratification par les deux chambres. La majorité des parlementaires est hostile au Président. Le Docteur Garry Conille a été ratifié à l’unanimité de la chambre des députés et le 4 octobre  par la majorité du Sénat. Il est donc un Premier Ministre de consensus. Ses qualités professionnelles ont été un argument de poids : Fonctionnaire onusien, il est surtout le chef du bureau de l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la reconstruction d’Haïti : Bill Clinton. Il est donc l’homme de la reconstruction du pays. 

Ce profil a convaincu beaucoup de monde, il fait aussi grincer des dents. Certains le qualifient d’homme de la recolonisation… Cela est exagéré. Pourquoi ? Lire la suite

La République des Tentes.

Depuis le 12 janvier 2010, peu de choses ont changé en Haïti. Une grande partie de la population de Port-au-Prince vit toujours sous des tentes, les rues sont toujours envahies de gravas, et peu de bâtiments ont été reconstruits. Les institutions de l’Etat ne font pas exception : les parlementaires se réunissent sous des chapiteaux et le Président reçoit ses hôtes sous de grandes et belles tentes. 

La reconstruction de Port-au-Prince n’a toujours pas commencé. Seules les ONG font un travail de fond, mais leurs actions se limitent à quelques bâtiments privés comme des écoles ou des dispensaires. Il est sans doute une initiative spectaculaire qui est à signaler : la construction et la mise en service d’une centrale électrique de 30 Mégawatts dans la banlieue de Port-au-Prince. Cette centrale thermique, fonctionnant au Mazout lourd, est l’œuvre de la société e-power possédant des capitaux étrangers mais dirigée par un homme d’affaire haïtien : Daniel-Gérard Rouzier.

 C’est ce même Daniel Rouzier que le nouveau Président Michel Martelly à désigné en mai dernier pour être son Premier Ministre. Cette désignation apparue pour beaucoup comme une « divine surprise ». Rouzier a une réputation d’intégrité, de compétence (il a été formé à l’Université de Georgetown) et surtout il n’a aucun lien avec la classe politique Haïtienne : il est un homme « neuf ». Mais il a été « retoqué » par un vote des deux Assemblées, vote qui a précipité le pays dans une crise gouvernementale…crise « à la Belge » dont le pays n’est pas sorti car le deuxième Premier ministre « désigné », Me Bernard Gousse, à lui aussi été retoqué.

 Haïti avait-elle besoin d’une telle crise ? Bien sur que non.

 Pourquoi cette crise ?

 Michel Martelly a été élu au début 2011 et les deux Assemblées fin 2010 alors que la campagne présidentielle battait son plein et que Martelly n’était qu’un outsider. Outre des doutes sur l’honnêteté du scrutin pour les législatives, les députés et les sénateurs ont été désigné indépendamment du futur Président…Ce qui est le contraire des législatives françaises qui suivent les présidentielles et où les candidats se positionnent par rapport au Président élu.

 La situation Haïtienne est donc une situation de conflit entre le législatif et l’exécutif.

 Et dans un tel contexte, Rouzier ne pouvait faire l’unanimité étant un proche de Martelly, bien vu des Etats-Unis et surtout n’ayant aucune expérience de la politique et de ses manœuvres souvent basses. Trop différent des parlementaires, trop à contre-courant, Rouzier dérange des élus populistes et généralement corrompus.

 Mais le cœur du problème se situe ailleurs. Au-delà de l’inexpérience criante de Martelly, il y a un problème de fond. Un problème lié à la forme même des institutions haïtiennes.

 Une Constitution paralysante.

 Haïti vit sous le régime de la Constitution de 1987. Ce texte a été écrit après la chute de Jean-Claude « Baby doc » Duvalier. Il est hanté par la peur d’un coup de force du pouvoir exécutif ! Cela se ressent très clairement et donne une constitution interminable (près de trois cent articles), luxueuse de précisions techniques (jusqu’à l’interdiction du portrait du Président sur la monnaie et les timbres) et surtout divisant le pouvoir à l’extrême. Dans ce système, le Premier ministre est désigné par le Président de la République et sa désignation est ratifiée par les deux Assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. Les deux Assemblées sont élues au suffrage universel direct et ont les mêmes pouvoirs…Le pouvoir législatif est donc divisé en deux, et le choix du Président dépend de deux ratifications.

 En cas de conflit entre les deux chambres, ou entre le Président et les chambres il n’y aucune porte de sortie. La Constitution ne prévoit aucun moyen de pression d’un pouvoir sur l’autre : Ni dissolution des Assemblées, ni prise en main du pouvoir par le Parlement.

 Le Premier ministre et les membres de son gouvernement sont donc le fruit d’un compromis entre trois puissances politiques : le Président, la Chambre des députés et le Sénat.

 En l’absence de compromis, le pays est voué à la paralysie.

 Si Michel Martelly devait céder devant les Chambres, cela reviendrait à dire qu’il a été élu pour rien. Il serait dans l’impossibilité de mettre son programme à l’œuvre et les espérances que les Haïtiens ont mises en lui auront été vaines.

 Quelle solution pour cette crise ?

 Comme le Président de la République ne dispose pas du droit de dissolution, il est donc impossible d’imaginer de nouvelles élections législatives. Donc seul un compromis politique permettrait de régler la crise sur le court terme. Mais la seule véritable solution serait un projet de révision constitutionnelle.

 Cette Constitution trop rigide est la principale cause de paralysie du pays. 

 La réponse au problème serait de donner au Président de la République un droit de dissolution et le pouvoir non seulement de désigner mais de nommer le Premier Ministre. Ainsi la question de la ratification par les deux chambres ne se poserait pas. L’examen des conditions de recevabilité serait le fait de la Cour de Cassation qui aurait juste un rôle de contrôle juridique.

 Ce système est le celui de la France. Le Général de Gaulle a voulu ainsi éviter les crises à répétition de la IVème République. Dans un tel cadre, le Premier Ministre serait contrôlé par la Chambre des députés (et non les deux Assemblées) par le recours à la motion de censure. Motion de censure qui serait le moyen de pression exceptionnel de la Chambre basse sur le gouvernement. 

 Haïti pourrait même adopter une technique du système Allemand : la motion de censure « constructive ». Une motion de censure qui n’est recevable que si le Parlement a pu dégager une majorité en faveur d’un nouveau gouvernement.

 Enfin, pour garantir a un Président fraichement élu une Chambre des députés qui lui est favorable, il serait judicieux que les élections législatives suivent les Présidentielles. Ainsi les électeurs choisiraient leurs députés selon leur accord avec le nouveau Président.

 La reconstruction d’Haïti sera totale ou ne sera pas. Tout doit être rebâti sur de nouvelles bases afin d’avoir un Etat performant qui puisse redresser le pays. Tout, y compris les institutions du pays. Un gouvernement stable, efficace et honnête est la première condition pour reconstruire ce pays et quitter l’âge de « la République des Tentes ».