Inquisitio : un profond malaise

La nouvelle série de l’été de France 2, Inquisitio, suscite un grand malaise. J’ai pu la voir en avant première, et cela a confirmé le sentiment que j’ai eu à la vision des différents teasers et synopsis de ce programme. Sentiment que j’ai évoqué dans un article précédent. 

Le problème posé par cette « fiction » est profond. Elle nous présente une Eglise médiévale (1378) sombre, violente, perverse avec un cortège de prélats libidineux, corrompus, et une Sainte Inquisition cruelle, tuant et torturant systématiquement.

Le tableau est atroce. Il laisse paraître une Eglise où il n’y aurait rien de bon. L’Inquisition fait irrémédiablement penser à la Gestapo par l’antisémitisme de ses hommes, et la terreur qu’elle fait régner dans la société… et surtout dans les quartiers juifs. Quant au port de la rouelle par les Israélites, il évoque l’étoile jaune. Bref : nous avons là une atmosphère particulièrement anachronique où les chrétiens remplacent les nazis.

Nous n’avons pas le beau rôle…ça fait mal. Et la blessure est d’autant plus grave que l’Histoire n’est pas respectée.

Soyons justes : Ne justifions pas l’injustifiable

Bien entendu je ne vais pas justifier l’Inquisition, ni la torture, ni les bûchers et autres mises à mort. Une exécution est toujours une exécution de trop. Une torture est toujours quelque chose d’abominable en contradiction formelle avec l’Evangile. Pour le jubilé de l’an 2000, le Pape Jean-Paul II a mis en place la commission Mémoire et Réconciliation afin de procéder à une étude historique approfondie des épisodes les plus douloureux de notre histoire. Le Pape tenait à ce que toute la lumière soit faite sur nos heures les plus sombres…afin de pouvoir demander pardon à Dieu durant la cérémonie jubilaire du 12 mars 2000. Jean-Paul II appelait cela la « purification de la mémoire » afin que de telles horreurs ne se reproduisent plus. L’Inquisition, et l’antisémitisme chrétien ont donc été étudiés par cette commission. Les faits ont été reconnus et le pardon a été demandé.

Mais la vérité historique se doit d’être respectée. Déformer l’Histoire dans un sens qui diabolise les catholiques n’est pas correct et offensant : or Inquisitio collectionne les non-sens. Non-sens qui vont de détails comme des voyages de dominicains à cheval (ils se déplaçaient à pied par pauvreté), à des points essentiels comme des scènes de débauche de religieux (un pape partouzeur…), des exécutions systématiques, des tortures à répétition et surtout : de la diffamation autour de personnages ayant réellement existés. C’est sur ce dernier point que je compte insister.

Sainte Catherine de Sienne diffamée

Un des principaux personnages d’Inquisitio est Sainte Catherine de Sienne. Interprétée par Anne Brochet (la Roxane du Cyrano joué avec Gérard Depardieu), elle est présentée comme une fanatique, conspiratrice aux ordres du Pape de Rome Urbain VI pour combattre l’antipape d’Avignon Clément VII. Nous la voyons s’empaler les mains en public pour faire un miracle (qui semble être un tour de passe-passe à l’aide de potions) et surtout, elle est à l’origine d’horribles meurtres visant à inoculer la peste dans la population d’Avignon ! Eh oui vous lisez bien : Sainte Catherine de Sienne tente par tous les moyens d’inoculer la peste dans la population avignonnaise ! Cela dans le but de vaincre Clément VII (sans doute en le tuant par le fléau). Sainte Catherine serait donc la première terroriste de l’Histoire à utiliser des armes de destruction massive ! Bactériologiques en l’occurrence… Tout cela nous est représenté à renfort d’ambiances grand-guignolesques style « Fort Boyard », de personnages masqués façon Tim Burton, et de dialogues épouvantables comme « J’ai fait alliance avec le démon pour la gloire de Dieu ».

Evidemment tout cela est faux. Rien n’atteste que Sainte Catherine ait fait et dit de telles choses. De plus, en 1378 elle n’était pas à Avignon…C’est donc une pure invention.

Mais cette invention est grave car elle porte atteinte à l’image d’une sainte vénérée par des millions de catholiques. Sainte Catherine de Sienne est docteur de l’Eglise et co-patronne de l’Europe, la faire passer pour une fanatique comparable à Ben Laden est inacceptable. C’est non-seulement faux mais profondément malhonnête.

Je vous invite vraiment à découvrir Sainte Catherine de Sienne. Elle appelait au renouveau de l’Eglise, à son unité, ses Dialogues sont d’une très grande profondeur…nous sommes très loin du fanatisme, et son message est encore d’actualité. De plus, elle présente à la perfection le rôle essentiel qu’avaient, et ont toujours, les femmes dans l’Eglise. Elle était écoutée du Pape, des prélats et des princes…qui a dit que l’Eglise était misogyne ? L’Inquisition pour les nuls nous donne des informations intéressantes sur Sainte Catherine.

Et si on s’informait ?

De tels propos ne peuvent être diffusés à un très large public sans qu’il n’y ait aucune réaction. Il est bon que des gens se lèvent et disent « non » à ces mensonges. Et ce n’est pas seulement une affaire de chrétiens. L’Histoire appartient à tout le monde, et toute personne soucieuse de vérité historique peut être offusquée par ce genre d’émission. Mais j’ai l’intime conviction que cela passe principalement par l’information. N’ayons pas peur de nous documenter, de découvrir cette époque passionnante, et terrible, qu’était le XIVeme siècle. Faisons circuler des sites Internet qui diffusent des textes d’historiens sur ces évènements. Un excellent site vient d’être mis en place : l’Inquisition pour les nuls. Toutes les réponses aux questions posées par la série sont dessus.

L’historien Didier-le-Fur a aussi écrit un très bon livre qui répond point par point à Inquisitio : L’Inquisition en France. S’informer, répandre au maximum cette information, voici la meilleure réponse que nous pouvons faire à Inquisitio…et bien entendu dans un esprit de dialogue.

Nanar

Enfin, j’aimerais conclure avec une réalité à reconnaître : Inquisitio est un navet. Mal ficelé, ennuyeux à mourir, dénué d’humour (sauf par un involontaire second degré), violent, cruel, cette série a tout du feuilleton commercial mal fagoté. Les dialogues ridicules entreront certainement dans les annales et feront les joies de sites comme « Escale à Nanarland ». Et oui, cette saga de l’été est un ratage…

Je n’en dis pas plus, regardez plutôt la « véritable » bande annonce d’Inquisitio :

Pour en finir avec le Gang des Lyonnais ! (2)

Mais qu’est-ce que le Gang des Lyonnais ? La réalité s’éloigne un peu de la version très romancée du film « Les Lyonnais ». 

Avant tout, le Gang des Lyonnais est une des organisations criminelles les plus importantes de l’histoire du grand banditisme. Spécialisé dans des vols à main armée d’une efficacité redoutable (militaire selon les spécialistes), le gang a commis de nombreux hold-up de 1967 à 1977.  Lire la suite

Pour en finir avec le Gang des Lyonnais ! (1)

Le 30 novembre sort en salle le film « Les Lyonnais ». Réalisé par l’ancien flic Olivier Marchal, Les Lyonnais est un film de gangsters où Gérard Lanvin campe Edmond Vidal, un des truands de ce célèbre gang.

Je n’ai pas encore vu le film, mais sa couverture médiatique, la façon dont l’histoire est représentée peut surprendre voire agacer. Lire la suite

Quand Scorsese veut adapter « Silence » de Shûsaku Endô…

Qui ne connait pas Martin Scorsese ? Un très grand cinéaste américain et aussi un des plus tourmentés. Nous autres cathos le connaissons surtout par son film scandale : La dernière tentation du Christ  où, bien avant le Da Vinci code, il nous présente  un Christ succombant à Marie-Madeleine…Choc ! Ce film était l’adaptation d’un roman de Nikos Kazantzakis, écrivain grec qui avait une vision bien à lui de Jésus. Scorsese voulait en découdre avec l’Eglise…Un compte à régler car il a une relation conflictuelle avec la foi chrétienne. Pourquoi ? Il a été séminariste dans sa jeunesse et il a ensuite perdu la foi…une blessure secrète, vive qu’il exprime dans plusieurs de ses films. Par exemple dans Gangs of New York avec Daniel Day-Lewis et Leonardo Di Caprio, les allusions à un Dieu absent au milieu de la souffrance des Hommes sont légions. Des Hommes tourmentés par la culpabilité, des Hommes confrontés au mystère du mal, à la folie sont des thèmes récurrents de sa filmographie : Taxi driver avec Robert de Niro, Shutter Island avec encore une fois Di Caprio reprennent ces sujets dans une ambiance sombre et désespérée brillamment mise en scène par le cinéaste. 

Sombre, désespérée…ces atmosphères chères à Scorsese nous révèlent beaucoup de sa tourmente et de son questionnement intérieur. 

J’ai été surpris de lire dans la presse qu’il voulait adapter Chinmoku, Silence en Japonais. C’est l’une des œuvres les plus importantes de Shûsaku Endô, un des plus grands écrivains nippon du XXème siècle…et, chose surprenante, c’est un écrivain catholique ! Oui, catholique, alors que ce pays contient une très faible proportion de chrétiens. 

Scorsese veut adapter un écrivain catholique ! Aurais t’il retrouvé la foi ? 

Pour tenter d’élucider le mystère, j’ai lu Silence. Un livre passionnant, mais aussi très dur. Il se déroule au début du XVIIème siècle peu après la tentative d’évangélisation du Japon par Saint François Xavier. Le pays est alors dirigé par les « Shogun », l’Empereur n’ayant qu’une fonction symbolique. Le livre commence au moment où les missionnaires ont été expulsés par le gouvernement, et où les chrétiens (près de 300 000 personnes et peut-être plus) sont persécutés et forcés à apostasier en piétinant une image pieuse : l’efumi, en Japonais. C’est l’époque des martyrs de la ville de Nagasaki qui ont été béatifiés par Jean-Paul II et que nous fêtons le 28 septembre. Mais tous les missionnaires n’ont pas quitté le Japon, un jésuite portugais, Christophe Ferreira est resté sur place, très discrètement. 

Mais voila, une nouvelle terrible arrive en Europe : Ferreira aurait publiquement abjuré la foi chrétienne ! Cette information fait l’effet d’un séisme car il était considéré comme un brillant théologien et un homme à la foi inébranlable…Il était perçu comme un saint. 

C’est alors que trois missionnaires portugais, qui ont été les élèves de Ferreira, décident d’aller au Japon. Ils désirent reprendre l’œuvre évangélisatrice, aider les chrétiens persécutés…Mais aussi tenter de sauver leur maître. 

Cette mission sera un chemin de croix. Sébastien Rodrigues, François Garrpe, Jean de Sainte Marthe (qui restera à Macao pour cause de maladie) vont connaître les pires souffrances. Le récit est centré sur Rodrigues et nous voyons ses peurs, ses angoisses et surtout…Ses doutes. Les deux prêtres seront les témoins du système le plus pervers qui soit pour éliminer la foi du Japon : contraindre les prêtres à apostasier en torturant devant eux les fidèles. Une fois devenu apostat, le prêtre devient un instrument du pouvoir en place pour décourager les chrétiens. 

Cette persécution est horrible, et je dirais même : satanique. Ils parviennent à dégouter les missionnaires d’eux même, de les contraindre à ne plus croire en l’évangélisation du pays. 

« Ce pays est un marécage(…) chaque fois que vous plantez un jeune arbre dans ce marais, sa racine commence à  pourrir, ses feuilles à jaunir et à sécher. Et nous, dans ces paludes, nous avons planté le jeune arbre du christianisme. » Dit Ferreira. Il ne croit plus en l’universalité de la vérité. Il a perdu la foi en l’Evangile. 

Devant le mal et sa victoire apparente, Sébastien Rodrigues entre dans une nuit obscure. Il fait l’expérience du silence de Dieu. Il vit ce que le Christ à vécu à Gethsémani : l’angoisse, la tentation du désespoir, de croire en l’inutilité de sa mission. Là, Shûsaku Endô reprend des thèmes chers à Georges Bernanos, nous ne sommes pas loin de Sous le soleil de Satan. Il décrit un terrible combat spirituel qui passe par l’illusion que ce combat est perdu…ultime ruse du mal : faire croire qu’il a gagné ! Car l’apostasie de ce prêtre est-elle une victoire du démon ? Où plutôt serait-ce une autre forme de martyre ? Car ces prêtres ayant perdu leur identité (ils sont obligés de prendre des noms japonais), leur liberté pour devenir des instruments du pouvoir (ils rédigent sous la contrainte des manuels antichrétiens), ces prêtres ne sont-ils pas des confesseurs de la foi enfermés dans des prisons spirituelles ? Sébastien Rodrigues, malgré une apparente apostasie, garde toujours la foi. Il a abjuré pour sauver les fidèles de la mort… Comme Pierre, son reniement ne signifie pas son abandon. Il exprime notre faiblesse devant l’horreur absolue de la persécution. Souffrances qui sont le prolongement de la Passion du Christ sur la croix. 

L’Eglise a connu un terrible martyre au Japon, mais cela ne signifie pas pour autant que ce pays n’est pas fait pour accueillir l’Evangile. Endô a voulu nous montrer la difficulté de l’évangélisation de ce pays et les cas de consciences immenses qu’ont connus les missionnaires. 

La foi chrétienne n’est pas morte au pays du Soleil levant. Il y a encore des chrétiens. Pendant des siècles ils ont survécu en l’absence de tout contact avec l’Eglise. Ils se réunissaient secrètement pour prier, pour lire la Bible. Au XXème siècle des missionnaires français ont pu entrer dans l’Archipel. Ils ont retrouvés ces fidèles des catacombes et cela à donné de magnifiques témoignages. Lors du bombardement atomique de Nagasaki, des milliers de chrétiens sont morts. Les survivants se sont battus pour que cette ville pardonne aux américains. Nagasaki, par le biais notamment de Tadeshi Nagaï, figure chrétienne du Japon, est devenue une ville militante pour la paix. 

Non, le Japon n’est pas un marécage. L’arbre de l’Evangile n’a pas pourri dans les terres humides. Il a juste été atrocement déraciné par les maîtres du pays. Quelques graines ont subsisté et un petit arbre est là, bien vivant. 

Espérons que Martin Scorsese mette son talent au service de l’intuition de Shûsaku Endô. A moins qu’il ne se concentre que sur la nuit de la foi que traverse le héros… 

De grands acteurs seront au rendez-vous : Daniel Day-Lewis est pressenti pour jouer Ferreira, Benicio Del Toro pour Rodrigues, Gael Garcia Bernal pour Garrpe. Il est actuellement en pré-production et devrait sortir courant 2013.