1944 : Quel mouvement construire ? Travaillisme ou Droite sociale ?

La Résistance a été le creuset dans lequel la Démocratie chrétienne française s’est raffermie, unifiée et développée. Mais une question essentielle s’est posée : Quel parti construire ? Où le situer politiquement ? 

Deux idées sont apparues : l’une qui serait une Démocratie chrétienne, issue du PDP et de la JR d’avant-guerre et située à droite ; l’autre qui serait un grand parti travailliste situé au centre gauche et réunissant des catholiques, des socialistes et de nombreux résistants indépendants. 

Un grand nombre de résistants chrétiens ont défendu l’option du travaillisme. On peut citer Gilbert Dru, étudiant Lyonnais auteur d’un « topo » jetant les bases d’un « Mouvement républicain de Libération » qui a beaucoup influencé les fondateurs du MRP. Dru a été fusillé en 1944, il a été une figure fondatrice du Mouvement. Il y a aussi le « Groupe de la rue de Lille », des journalistes résistants qui ont publié « Les cahiers du travaillisme français ». Parmi eux on peut citer Georges Hourdin, un des journalistes de Temps présent, et Emilien Amaury célèbre patron de presse de l’après guerre qui a fondé le Parisien Libéré en 1944. Voici ce que l’on pouvait lire dans ces Cahiers : « Notre conception du travaillisme français est une conception de chrétiens et nous tenons pour certain que rien ne peut être construit de durable dans la France de demain, qui ne respecte pas les principes essentiels de la civilisation chrétienne. Mais les solutions que nous voulons exprimer sont des solutions éminemment pratiques et concrètes que tout Français peut accepter en dehors de toute foi religieuse. » Leur référence est le Parti Travailliste britannique où cohabitent des socialistes et des chrétiens sociaux (anglicans mais aussi un très grand nombre de catholiques). Ils envisageaient la dissolution dela SFIO et la constitution d’un unique parti travailliste issue de la Résistance… 

Ce projet a échoué.La SFIO n’a pas accepté de se saborder pour céder la place à ce mouvement et un grand nombre de personnalités démocrates chrétiennes y étaient opposées. Ils souhaitaient un mouvement plus purement démocrate chrétien…Mais pas forcément une « Droite sociale » comme les futures démocraties chrétiennes Italiennes et Allemandes. Cette idée de parti conservateur social était surtout défendue par…Le Général de Gaulle. 

Pierre-Henri Teitgen, un des fondateurs du MRP, parle de cette vision du Général dans ses mémoires « Faites-entrer le témoin suivant » ainsi que dans le débat qu’il a eu avec Louis Terrenoire (gendre de Francisque Gay, éditorialiste de l’Aube, et ayant suivi de Gaulle en 1947 au RPF) à la Fondation Charles de Gaulle le 4 février 1982 (disponible dans Espoir n°41 de 1982). 

Teitgen a présenté l’idée que de Gaulle souhaitait que le MRP soit un « un grand parti conservateur intelligent » afin d’occuper l’espace laissé vacant par une droite qui s’était compromise avec le gouvernement de Vichy. Une droite, aussi, que de Gaulle considérait comme « en dehors de la nation, tandis que la gauche est contre l’État ». Pour le bien du pays, de Gaulle souhaitait une droite sociale. Pierre-Henri Teitgen tient cela de conversations qu’il a eu avec le Général durant l’Occupation alors qu’il était au Comité général des études (organisation de la Résistance qui préparait les cadres de la Libération). De Gaulle avait dit à Teitgen : « Cessez de regarder vers la gauche. Il n’y a plus de droite. Elle n’est plus encadrée. Rassemblez-la. Faites moi (le moi, déjà était de trop dixit PHT) un grand parti conservateur intelligent et donc social ; il sera pour bien longtemps majoritaire.» Tel était le projet du Général pour le MRP. Teitgen ne partageait pas cette idée. De même qu’une grande partie des futurs cadres et militant du MRP, il regardait à gauche et souhaitait faire du MRP un parti travailliste à la française. Dans ses mémoires, Teitgen indique que l’idée d’un parti conservateur intelligent était partagée par Georges Bidault, peu après la Libération, au vu des succès de la Démocratie chrétienne italienne et du parti social-chrétien belge, construits sur un modèle conservateur. De Gaulle avait d’ailleurs fait cette remarque à Bidault le 12 novembre 1948, dans un entretien consigné par Louis Terrenoire dans son livre « De Gaulle, 1947-1954, Pourquoi l’échec ? » : « Si vous m’aviez suivi, vous seriez aujourd’hui comme De Gasperi en Italie ». Mais non, Teitgen rappelle lors du débat que les membres du MRP, sauf Bidault et ses proches, étaient plus proche d’un « socialisme humaniste » que d’un « conservatisme intelligent ». Ils souhaitaient, « au sein d’un travaillisme de centre-gauche, l’entente sur un programme de gouvernement entre les socialistes et les républicains-populaires »

Ni le travaillisme, ni la Droite sociale n’ont été retenu pour la création du MRP. La solution a été un « réformisme d’inspiration chrétienne » selon la formule que rapporte Pierre Létamendia dans son livre « Le Mouvement Républicain Populaire, histoire d’un grand parti français ». Composé à plus de 80% de catholiques pratiquants, il est clairement un parti démocrate d’inspiration chrétienne. Ses choix politiques sociaux, l’aspiration d’une partie de ses membres à un travaillisme, la composition sociale du mouvement (un très grand nombre d’ouvriers) en font un parti regardant vers la gauche réformiste alors qu’il a un électorat majoritairement à droite. Cela éclaire la célèbre phrase de Georges Bidault : « Le MRP fait une politique de gauche avec un électorat de droite tout en siégeant au centre ». Enfin, bien qu’étant d’inspiration chrétienne, il n’est pas un parti confessionnel car le clergé n’est pas intervenu dans sa création. La foi chrétienne est une inspiration, une référence philosophique mais nullement une étiquette. Ceci explique que le nom du parti soit « Mouvement Républicain Populaire » et non « Démocratie-chrétienne ». 

Dès sa fondation, lors du congrès de Paris des 25 et 26 novembre 1944, le MRP va connaître un grand succès. Il est un nouveau parti né de la Résistanceet qui clame haut et fort sa loyauté envers le Général de Gaulle. Il est « le parti de la fidélité »…Mais cela ne va pas durer. 

A suivre