Le Pape et l’Autorité publique universelle : un document choc.

Le 24 octobre, le Conseil pontifical Justice et Paix a publié un document très attendu : Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle. Il s’agit d’une proposition du Saint Siège dans le cadre de la lutte contre la crise financière.

Le texte n’est pas de la main de Benoît XVI mais il a son entière approbation. Justice et Paix parle au nom du Pape sur les questions politiques et sociales. Ce dicastère est dirigé par le Cardinal Peter Turkson, prélat d’origine Ghanéenne. Il est notamment connu pour ses critiques envers la multinationale Monsanto…

Ce texte est très intéressant car il s’inscrit dans la suite de l’encyclique Caritas in Veritate. Le Pape appelait déjà à la création d’une Autorité publique à compétence universelle pour le gouvernement mondial de la finance. Le document de Justice et Paix développe cette question.

Il est difficile de résumer en quelques lignes une note de treize pages. Je vais donc évoquer quelques points.

Ce document part de la crise actuelle, qui est non seulement économique mais qui est susceptible d’avoir des conséquences sur la paix. Il tente d’apporter une explication à cette situation :

« Mais qu’est-ce qui a donc poussé le monde dans cette direction aussi problématique, pour la paix également ? Avant tout un libéralisme économique sans règles ni contrôles. Il s’agit d’une idéologie, d’une forme d’  « apriorisme » économique qui prétend tirer de la théorie les lois de fonctionnement du marché et celles dites lois du capitalisme, en en exaspérant certains aspects. »

La traduction n’est pas très belle, mais le contenu est clair. La cause du problème est l’ultralibéralisme, cette idéologie qui refuse toute régulation du marché y compris au niveau mondial. Certains esprits chagrins diront peut-être que cela ne vise pas le libéralisme mais l’absence de réglementation…Non, le texte est clair et son auteur insiste à plusieurs reprises sur « l’idéologie néolibérale ». Donc ne faisons pas dire au Saint Siège ce qu’il ne dit pas.

Le texte développe donc sur les ravages du néolibéralisme et des idéologies liées : l’utilitarisme (ce qui est utile à l’individu, est utile à la communauté), et la technocratie (les solutions sont exclusivement techniques). Le bien de tous ne passe pas que par ce qui est utile à chacun, le Saint siège vient ajouter à cela un principe de solidarité. Quant à la technique, elle ne peut répondre à tous les problèmes, au contraire il y a avant tout une question éthique : cette crise est surtout une crise morale.

Solidarité, éthique, régulation de l’économie mondiale, cela ne peut avoir lieu que dans le cadre d’une autorité publique mondiale dont le but est de servir le bien commun.

Vaste programme ! Justice et paix qualifie cette autorité de supranationale (ce qui va faire hurler nos souverainistes, fussent-ils de bons catholiques).

Son objet ? « Elle a pour but de favoriser l’existence de systèmes monétaires et financiers efficients et efficaces, c’est-à-dire de marchés libres et stables, disciplinés par un ordonnancement juridique approprié, fonctionnels au développement durable et au progrès social de tous, et s’inspirant des valeurs de la charité et de la vérité. »

Nous sommes loin de l’ultralibéralisme. Il s’agit donc d’une autorité garantissant un échange commercial libre mais régulé, organisé, permettant le progrès social des peuples et dans le respect de la création. Nous sommes loin de la « main invisible » d’Adam Smith !

Evidemment cela ne se fera pas d’un coup et le texte développe les différentes phases de constitution de l’autorité.

Ce n’est pas non plus une organisation aplatissant les cultures, un totalitarisme mondial : « Une Institution supranationale, expression d’une « communauté des nations » ne pourra exister longtemps, si, (…) les diversités des pays ne seront pas reconnues ou pleinement respectées ». L’unité mondiale ne peut se faire que dans la diversité, et dans le respect du principe de subsidiarité comme le précise le texte plus loin.

Principe de subsidiarité mais aussi principe de solidarité entre les Etats, la société civile mondiale et l’Autorité publique universelle.

Le Saint Siège reconnait le long chemin pour parvenir à un tel « gouvernement mondial » (le mot figure dans le texte), et il propose qu’il soit mis en place à partir de l’ONU qui serait réformée.

« Le fruit de ces réformes devrait être une plus grande capacité dans l’adoption des politiques et des choix contraignants parce qu’orientés vers la réalisation du bien commun local, régional et mondial. »

Contraignants : ce gouvernement mondial n’est pas « international » mais « supranational ». La seule institution comparable à ce projet est l’Union Européenne, dont le droit communautaire prime sur le droit national. Tout comme l’Europe unie, l’autorité mondiale se fera par le multilatéralisme. Le Vatican explique clairement qu’il faut passer de la gouvernance mondiale, de forme intergouvernementale, au gouvernement mondial, multilatéral avec une institution supranationale.

Il fait référence à une solidarité fiscale mondiale. Cela implique donc des taxes mondiales, ressources propres de l’autorité universelle pour constituer une réserve financière mondiale et instruments de régulation économique. Ces taxes toucheraient les transactions financières.

Critiquant intelligemment le système financier actuel et les faiblesses des instances actuelles, le document appelle à la création d’une banque centrale mondiale conçue sur le modèle des banques centrales nationales.

En conclusion le texte reconnait les vices mais aussi les aspects positifs de la mondialisation. Le monde s’unifie, les peuples coopèrent entre eux. Mais cela doit être organisé afin que surgisse un état de droit mondial.

« Seul un esprit de concorde, qui surmonte les divisions et les conflits, permettra à l’humanité d’être vraiment une seule famille, jusqu’à concevoir un monde nouveau avec la constitution d’une Autorité publique mondiale, au service du bien commun. » 

Alors : Utopie ou projet réaliste ?

C’est difficile à dire, mais il faut espérer qu’il soit réaliste. Nous ne pouvons pas en rester là. Ce libre-échange sans la moindre régulation ruine nos économies, fait plonger dans la misère des millions de famille, détruit des emplois par les délocalisations et réduit en esclavage les travailleurs du sud. Soit la mondialisation est maitrisée par une Autorité mondiale, soit les Etats devront se protéger par des politiques de protectionnisme ne serait-ce qu’au niveau régional. L’idée d’Arnaud Montebourg n’est pas insensée bien au contraire.

Donc il nous faut soit une Autorité mondiale digne de ce nom, soit une politique de démondialisation.

Indignons-nous de ce Casino mondial et faisons circuler ce document révolutionnaire !

6 réflexions au sujet de « Le Pape et l’Autorité publique universelle : un document choc. »

  1. Ping : Pour une régulation mondiale de la finance « Thomas More

  2. Je suis manifestement plus mesuré sur l’analyse de la Note mais je vous rejoints assez largement sur le fond. J’avoue toutefois accorder moins d’importance à la proposition d’une autorité internationale (qui reste dans une logique très classique et sans doute limitée) qu’aux pistes plus esquissées dans la suite du document. L’Eglise (la plus importantes des organisations internationales!?) a manifestement un rôle à jouer ici…

    • La question de l’Eglise et du libéralisme est assez complexe. Le texte parle clairement de « l’idéologie néolibérale » et stigmatise le comportement idéologique. Je pense que le coeur du problème est justement dans l’idéologie. Le commerce, la liberté économique sont des bonnes choses, mais l’idéologie voulant qu’il ne faut rien réguler, laisser faire laisser passer sans limite est mortifère et à l’origine de la spéculation sans frein qui nous a plongé dans la crise.
      Sur l’autorité publique universelle, cela peut sembler utopique au premier abord. Je pense que le Vatican incite réellement les gouvernements à la mise en place d’une telle structure. Ce n’est pas nouveau, Jean XXIII en parlait déja dans Pacem in terris. Quand la note emploi le terme « gouvernement mondial » on peut se poser pas mal de questions : est-ce seulement sur l’économie, ou est-ce une structure politique, une hyperONU ? Je dois le reconnaître : la lecture de ce document me rappelle parfois les propos de Jacques Attali (!) sur l’hyperdémocratie. Mais bon, cette idée reste quelque chose qui ne pourra se réaliser que dans un futur très lointain.

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  5. Je découvre votre site avec intérêt mais j’avoue que je suis assez perplexe face à votre enthousiasme candide concernant Caritas in veritate et le document issu du Conseil pontifical Justice et Paix. Je vous invite chaleureusement à vous rendre à cet article: http://leraton-laveuretl-aigle.blogspirit.com/musique/ (gouvernement mondial: est-ce bien catholique?) – très bien fait- où j’ai découvert avec consternation cette encyclique et le document mentionné ci-dessus… Dans ces 2 documents tout est mélange de bon et de fallacieux, sous couvert de continuité avec la pensée de Paul VI et Jean XXIII et d’arguments louables comme la justice, la paix, la solidarité etc. Le n. 67 de Caritas in veritate et le document publié par Justice et Paix (cf. les conclusions si vous n’avez pas envie de tout lire) posent vraiment problème si on considère le danger que représente le Nouvel Ordre Mondial pour tous- et les chrétiens y sont particulièrement sensibles!
    Je pense que le Saint-Père est assez mal entouré et conseillé, et qu’il a donné son parafe à une encyclique dont il n’a pas mesuré toute… la malignité (oui, j’ose le dire). C’est la porte ouverte à une complicité avec des grands de ce monde loin d’être éclairés par la foi et l’amour de Dieu, et je crains que nous ne tardions pas à en voir tous les effets dévastateurs, notamment pour l’Eglise catholique, que, j’en suis sûre vous aimez.
    Avec mon amitié sincère.

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