Suicide assisté : les effets psychologiques sur les proches

Dessin de Luc Tesson illustrateur pour Alliance Vita : http://www.alliancevita.org/

L’Université de Zurich a récemment publié dans la revue European psy[1], une étude sur les personnes ayant participé au suicide assisté d’un proche. 85 personnes ont été interrogées et suivies par les universitaires. Le résultat est accablant et a beaucoup circulé en Suisse : une personne sur quatre souffre de maladie psychique après avoir participé à un suicide assisté. 20% de syndrome de stress post-traumatique et 16% de dépression. Et oui, soulager une personne de la souffrance en l’aidant à mourir génère à son tour d’autres souffrances…

Une telle nouvelle a bien entendu fait réagir les partisans du suicide assisté. L’association Exit, qui organise l’assistance au suicide en Suisse, est allée jusqu’à dire que l’étude se base sur un échantillon «purement aléatoire», s’étendant sur une période trop courte et une aire géographique très limitée. Ses résultats ne correspondraient pas à ceux d’études semblables émanant de Hollande et des Etats-Unis.

Mais est-ce étonnant que la participation à un suicide assisté soit un évènement traumatisant ? Non, cet acte n’est pas anodin, bien au contraire, donner la mort est une chose effroyable. Une autre étude[2], cette fois-ci américaine, révèle que 58% des médecins interrogés qui ont pratiqué l’euthanasie avouent un grand malaise à accomplir cette tâche et 39% du même panel reconnaissent ne plus vouloir recommencer.

Bien sûr, il ne s’agit que d’une étude, d’un sondage qui pourra toujours être discuté. Mais notre bon sens ne nous dit-il pas que la mort est toujours un drame, un scandale, qu’elle n’est jamais la solution ? Quand la mort vient naturellement, elle nous choque, nous blesse… et quand nous la provoquons nous-mêmes, en plus de souffrir de la perte d’un être cher, nous avons la conscience perturbée par ce souvenir… Ai-je bien fait ? Etait-ce nécessaire ? Le demandait-il vraiment ? Une autre solution était-elle possible ? Quelle difficulté à faire son deuil… Un tel acte est traumatisant, ce qui explique que certains peuvent développer des stress post-traumatiques et des dépressions. Donner la mort n’est jamais une solution.

Cette étude Suisse est à prendre très au sérieux, notamment parce qu’elle est Suisse ! Nos voisins Helvètes ont sans doute la législation la plus libérale en matière de suicide assisté. La loi Suisse ne punit pas l’assistance au suicide sauf si celle-ci a un « mobile égoïste » (art 115 du Code pénal Suisse). Ainsi, aider à mourir une personne en grande souffrance, y compris psychique, est autorisé.

Bertrand Kiefer, de la revue médicale Suisse[3], décrit très bien l’aide au suicide chez nos voisins. Il met en avant l’application très large de cette loi, il cite l’exemple d’un malade psychique, un bipolaire qui n’était pas en danger de mort, qui a obtenu l’aide au suicide. Il va jusqu’à dire, en le dénonçant : « La Suisse avance avec une grande tranquillité vers l’horizon dont rêvent les organisations d’aide au suicide : la «délivrance» «digne», «sans violence», «courageuse» pour tous – ces mots revêtus par elles d’un sens quasi théologique – sans condition autre que la volonté clairement et validement exprimée. » Eh oui, la Suisse sera peut-être bientôt le pays du suicide pour tous pourvu qu’on en fasse la demande en bonne et due forme.

Alors nous sommes en droit de nous interroger : avec les dégâts psychologiques qu’engendre une participation à un suicide assisté, que peut devenir une société où un tel acte sera banalisé et répandu ? Allons-nous vers des suicides assistés de dépressifs, devenus ainsi pour avoir aidé certains de leurs proches à mourir ? Les pays, comme la Suisse, qui prennent ce chemin risquent bien de devenir des sociétés dépressives, tristes où l’injection létale devient la conclusion de toute une vie.

Pour finir, voici le lien vers un récent article de la revue médicale Suisse. Il donne les résultats d’une étude sur des personnes âgées. Elles devaient répondre à un questionnaire sur les frais engendrés par leur état de santé, le sentiment de culpabilité éprouvé ainsi que le recours éventuel au suicide assisté par l’Association Exit. Ses résultats font froid dans le dos : « La pression économique en lien avec l’augmentation des frais médicaux est une réalité, même dans un pays riche comme la Suisse. Elle constitue, chez les sujets âgés de notre enquête, une source de culpabilité pour 10% d’entre eux lorsqu’ils consultent leur médecin. (…) Cette intériorisation de la pression économique nous paraît très inquiétante lorsqu’on constate qu’un patient sur dix pense avoir recours à l’Association Exit de peur de coûter trop cher à la collectivité en frais médicaux ! »

Est-ce la société dont nous voulons ?


[1] Wagner A, Muller J, Maercker A. Death by request in Switzerland : Posttraumatic stress disorder and complicated grief after witnessing assisted suicide. European Psy, article in press, doi : 10.1016/

[2] Meier D, Emmons C, Wallenstein S. A National Survey of Physician-Assisted Suicide and Euthanasia in the United States. N Engl J Med 1998; 338:1193-201.

[3] Revue scientifique de formation continue des médecins suisses.

7 réflexions au sujet de « Suicide assisté : les effets psychologiques sur les proches »

  1. Je suis tout à fait contre l’euthanasie, je ne m’étonne pas des conclusions de cette étude, et je comprends de manire générale (et je défends) la nécessité d’argumenter sur la base d’arguments non religieux. Cela dit, je pense que l’articulation »arguments en faveur du bien-être »/ »arguments en soutien de l’enseignement de l’Eglise » pose question. C’est pourquoi je mets en lien en commentaire d’un billet féministe tout à fait contraire dans son discours à la position de l’Eglise, mais qui a l’imense mérité d’être serein , argumenté, et pointant de vrais questions, mon analyse de ce qui me parait être des limites dans l’argumentation actuelle des catholiques(et que tu connais au moins partiellement, vu que je t’ai forcé à en lire les premiers paragraphes quasiment le couteau sous la gorge la dernière fois que nous nous somme vus IRL 😉 )… http://cafaitgenre.org/2012/09/10/leglise-catholique-et-la-blessure-insurmontable-de-lavortement/#comment-1511

  2. Correction: « je comprends de manière générale (et je défends) la nécessité d’argumenter sur la base d’arguments non religieux » : mais néanmoins articulé au religieux (je sous cris à l’argumentation de Baroque et Fatigué sur la nécessité de ramener in fine à la relation personnelle à Dieu, même si ce la doit prendre une forme graduelle, et s’adapter au stade de cette relation propre à chaun, ce qui nécessite un discours philosophique et scientifique adapté aux exigences actuelles, ce qui n’es malheureusement pas toujours le cas dans l’argumentaire catholique actuel…

  3. Salut Charles,

    merci pour cet article. Je me méfie toujours des sondages, à qui on fait dire tout et son contraire, l’ADMD en est le spécialiste.

    Et tu mets bien le doigt sur ce que j’ai appelé l’indignité de l’ADMD (et des autres) : à savoir l’argument économique, encore peu énoncé, mais qu’on voit poindre de ci de là. C’est à ces signaux-là qu’on peut juger que l’humanité pourrait tomber bien bas…

  4. Oui, bien sûr. Vous avez raison de noter le rôle de pressions économico-sociales extérieures à l’entourage des patients: car spontanément, le coeur et la raison butent tellement contre un pronostic fatal….

  5. bonsoir, je viens de lire votre article et je peux vous dire à quel point il est difficile de trouver un article ne vantant pas les « mérites » du suicide assisté. Cette ambiance « pro suicide assisté et euthanasie » me révolte. Elle me révolte plus particulièrement car je viens de la vivre. Ma mère vient de nous quitter en ayant fait appel à une de ces entreprises suisses contre notre avis. Pour cette mort « digne » comme ils aiment le dire ils lui ont réclamé 7000 euros….et oui tout à un prix ! elle était atteinte d’une maladie dégénérative incurable un stade très avancé. Malheureusement, elle n’était plus en mesure de prendre des décisions éclairées et s’est laissée influencer par son entourage qui n’a cessé de lui envoyer le message « qu’en effet sa vie devait être insupportable ». Ces entreprises revendiquent le droit de « choisir ». Mais sérieusement lorsqu’on souffre psychologiquement et /ou physiquement est on vraiment en mesure de choisir ? je vous rejoins pleinement et je suis « rassurée » de lire qu’il y a encore des gens qui réfléchissent avec humanité. Continuez à publier, écrire, c’est important !

  6. Je ne doute pas qu’il se trouvera quelqu’un, côté ADMD, pour prétendre que c’est la réprobation sociale qui provoque le traumatisme, comme les jusqu’au-bout-istes de l’IVG prétendent aujourd’hui que ce sont les expressions « détresse » et « IVG de confort » qui traumatisent les jeunes femmes qui viennent d’avorter et que bien entendu l’IVG serait anodine.

    Toutes ces revendications se font toujours sur la négation de la souffrance réelle des personnes.. donc n’espère pas trop que cet argument fasse mouche.

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