Haïti : son Président, son Armée et sa souveraineté.

Vous vous en rappelez peut-être, mais le premier article de mon blog portait sur la crise gouvernementale qui sévissait en Haïti. Je connais bien ce pays. Des liens familiaux et plusieurs voyages font qu’Haïti est devenu pour moi une seconde patrie. 

Depuis la fin août, la situation a évolué dans la République des Tentes. Le Président Martelly est parvenu à un exploit politique : il a constitué un gouvernement. Alors que son parti Respons Payizan n’a qu’une petite poignée de parlementaires il est parvenu à convaincre la chambre des députés et le Sénat. 

Ce n’était pas gagné, les deux précédents Premier Ministres désignés ont été refusé par les chambres : Daniel Gérard Rouzier par les deux assemblées, Bernard Gousse par le Sénat. Nous l’avions vu précédemment, la constitution de 1987 est très rigide et nécessite la ratification par les deux chambres. La majorité des parlementaires est hostile au Président. Le Docteur Garry Conille a été ratifié à l’unanimité de la chambre des députés et le 4 octobre  par la majorité du Sénat. Il est donc un Premier Ministre de consensus. Ses qualités professionnelles ont été un argument de poids : Fonctionnaire onusien, il est surtout le chef du bureau de l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la reconstruction d’Haïti : Bill Clinton. Il est donc l’homme de la reconstruction du pays. 

Ce profil a convaincu beaucoup de monde, il fait aussi grincer des dents. Certains le qualifient d’homme de la recolonisation… Cela est exagéré. Pourquoi ? 

La politique du Président Martelly n’est pas une politique outrancièrement pro-américaine. Haïti a besoin des autres pays pour se relever. Il est donc normal que le Président cultive des liens avec les autres états, USA en tête. Néanmoins, il n’a pas eu peur de maintenir et  approfondir les relations avec le voisin anti-américain : Cuba. La récente visite de Martelly à La Havane a marqué une volonté de continuité dans la coopération avec l’île sœur. Le discours présidentiel est sans équivoque : «…l’idée est de rencontrer les homologues cubains pour travailler sur le renforcement de la coopération bilatérale, et du même coup discuter de la possibilité de relations tripartites, et dans ce menu nous avons l’approfondissement de la coopération avec Cuba dans les domaines suivants, la santé, l’agriculture, la pêche c’est très important pour nous, nous travaillons déjà pour mettre sur pied d’ici la fin du mois un séminaire sur la pêche et les métiers de la mer […] , l’environnement, l’éducation, des techniques de construction, de culture, de tourisme et de protocole…» 

La coopération avec Cuba n’est pas nouvelle, depuis déjà quelques années Haïti envoie des jeunes étudier la médecine à Santiago de Cuba. Cela paraissait cohérent avec les options politiques de ses prédécesseurs Aristide et Préval au discours « de gauche ». Martelly, présenté comme pro-américain surprend d’autant plus qu’il souhaite renforcer cette coopération. Le pragmatisme peut expliquer cette politique : Cuba est réputé pour son système de santé et le niveau de ses médecins. Malgré une situation de pauvreté (dû en grande partie à l’embargo imposé par les Etats-Unis), et une dictature indéfendable, Cuba a un système économique et social qui fonctionne. Il serait dommage qu’Haïti n’en profite pas… 

Mais Martelly est allé plus loin : il a regretté le blocus que Washington impose à Cuba depuis plus de cinquante ans en parlant « d’injuste le blocage économique, commercial et financier». Le Président va dans le sens du Sénat Haïtien qui a récemment voté une résolution demandant aux Etats-Unis la levée de l’embargo. 

Nous sommes donc très loin d’un Martelly soumis à l’impérialisme US… Et il n’est pas non plus un inconditionnel de la tutelle des Nations Unies. Eh oui ! Pour la première fois, le départ de la Minustah (Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti) est envisagé. Du moins, le sujet est évoqué parallèlement à une autre question : la reconstitution de l’Armée d’Haïti. 

L’Armée d’Haïti a existé jusqu’en 1995, date de sa dissolution par le Président Aristide (dès son retour au pouvoir). Cette institution remonte aux origines du pays et se considère comme héritière de l’Armée de l’indépendance. Prévue par la constitution de 1987, la décision d’Aristide était considéré comme illégale. En faisant cela, l’ancien prêtre devenu Président souhaitait se protéger d’un éventuel coup d’état. En effet, son premier mandat avait été écourté par le putsch du Général Raoul Cédras en 1991. Il faut reconnaître qu’entre 1987 et 1991, Haïti a connu de nombreux coups de force provenant de l’Armée. Néanmoins, démilitariser le pays à conduit à l’insécurité.La Police Nationaled’Haïti (PNH) ne parvenant pas à assurer seule ses missions de sécurité publique… C’est ce vide qui a justifié l’installation des Casques bleus. 

On pense ce que l’on veut de la Minustah. Les opinions divergent et les débats sont passionnés. Globalement elle a stabilisé le pays politiquement et rendu de grands services lors des catastrophes naturelles (sauf le séisme où elle a subit des dégâts considérables). Néanmoins elle n’a pas su combattre les différentes épidémies de kidnapping (malgré des efforts évidents) et elle est devenue impopulaire quand elle a été accusée d’avoir été à l’origine du choléra (involontairement bien sur, mais le manque d’hygiène de ses sanitaires semble avoir joué un rôle dans cette catastrophe). 

On ne peut donc en conclure que sa mission touche à sa fin et qu’il est temps de passer à autre chose. Seule une nouvelle armée d’Haïti peut remplacer les Casques bleus et permettre à Haïti de recouvrer sa souveraineté. 

Michel Martelly a proposé dans son programme de reconstituer l’Armée. Depuis quelques temps, circulent dans des boites méls un courrier reprenant un projet présidentiel sur ce sujet. J’ai personnellement reçu ce document très intéressant. Il prévoit une vaste administration militaire en charge de la sécurité publique. Elle agirait en complément de la PNH sur différentes missions : lutte contre la petite et grande délinquance, intelligence, force d’urgence en cas de catastrophe naturelle, sécurisation des frontières etc… Beau projet, mais ce document n’est pas officiel. Il s’agit d’un document de travail qui a « fuit ». 

Le 18 novembre, le gouvernement a commémoré la bataille de Vertières qui a vu l’armée de Dessalines vaincre l’Armée française il y a 208 ans. A cette occasion le Président a annoncé la création d’une commission civile en charge de la rédaction d’un rapport organisant la mise en place de l’armée. La commission a été créée le 21 novembre et devra remettre sa conclusion dans quarante jours pour une présentation officielle par le Président de la République le 1er janvier, qui est la fête nationale du pays. 

Nous voyons donc que Michel Martelly et son équipe ont une ligne de conduite très claire : reconstruire Haïti et lui rendre sa souveraineté. La misère, les catastrophes naturelles ont ravagé ce pays qui ne connaissait plus un état de droit et qui avait une administration trop faible. Daniel Gérard Rouzier avait surnommé le pays « la République des ONG » tant la nation vivait sous perfusion des innombrables ONG travaillant sur place. République des Tentes, République des ONG, République des Casques bleus, Haïti sied bien à tous ces sobriquets… Mais quand Haïti sera-t-elle vraiment la « République d’Haïti », un Etat souverain capable de contribuer au bien commun par sa politique et par le travail de sa société civile ? Le pays ne manque pas de sources vives, d’intellectuels, de chefs d’entreprises, de travailleurs…Il lui faut juste un cadre permettant à la société haïtienne de s’épanouir pleinement, de garantir sa sécurité et sa justice sociale. 

C’est tout le défi que tente de relever Michel Martelly.

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